Impossible de parler tricot sans évoquer celle qui vouait une véritable passion pour la maille et c’est vers la fin des années 1960 que Sonia Rykiel remit la maille au goût du jour en France.
La maille, un hasard…
« La maille, je l’ai commencée par hasard, parce que je voulais à tout prix quelque chose de très petit. Et c’est vrai que l’on a tous quelque chose qui nous touche. Moi, c’était le tricot, pour la tendresse, la douceur. » Sonia Rykiel
Surnommée la reine du tricot par le magazine Women’s Wear Daily en 1972, Sonia Rykiel n’était pourtant pas prédestinée à révolutionner le monde de la mode des années 60, et à s’y créer petit à petit une place légitime. Issue d’un milieu bourgeois et intellectuel d’origine juive, Sonia est née le 25 mai 1930 à Paris d’un père roumain et d’une mère russe, et est l’aînée de cinq filles . En 1948, elle commence sa vie professionnelle en tant qu’étalagiste stagiaire à la Grande Maison de Blanc, punie par sa mère après un échec au baccalauréat. En 1954, elle épouse Sam Rykiel, propriétaire de Laura, une boutique de confection vestimentaire dans le 14e arrondissement de Paris. La jeune parisienne de 24 ans à la chevelure rousse, n’imaginait certainement pas le destin qui l’attendait.
Un pull construit sa légende
“À l’époque, je ne m’intéressais pas à la mode. J’adorais lire et écrire. Je me ressentais comme une personne originale, plus importante qu’un habit. La mode, c’était pour les autres.”
Tout du moins, c’est ce qu’elle pensait à l’époque… Dans la boutique de son époux, rien ne lui plaît . Elle imagine alors concevoir ses propres tenues, une façon bien à elle de se démarquer. C’est en 1962 que Sonia crée pour elle-même, un premier pull-over qu’elle fait fabriquer par un fournisseur italien de son mari. Une fois reçu, Sonia ne trouve pas le pull à son goût et décide de le retravailler. “Il fallait lui donner une attitude différente”. Le vêtement est repris 7 fois avant de devenir le fameux pull Rykiel. Ce pull « signature » en maille fine, court et près du corps, fera la couverture du magazine ELLE en Septembre 1963 sur les épaules de la jeune Françoise Hardy. Le “poor boy sweater”,“le chandail du garçon pauvre”, surnom donné au premier pull de Sonia par le WWD, restera une pièce emblématique de toutes ses collections.
Sonia Rykiel tricote son succès…
C’est un évènement, les unes de magazines de l’époque étant réservées aux collections de Haute Couture de Dior ou de Chanel. Le succès est immédiat et l’actrice Audrey Hepburn, de passage chez Laura en achètera 5 de couleurs différentes. Dans les années qui suivirent, de jeunes célébrités comme Brigitte Bardot ou Sylvie Vartan se montrèrent avec le petit pull, se firent photographier. Un nouveau public, plus jeune, plus moderne, vint à la boutique. « Ça a été une traînée de poudre dans Paris, une jeune styliste faisait des pulls formidables pour les femmes », assure Madeleine Chapsal. Alice Morgan, qui dirigera bientôt le magazine Le Jardin des modes, ajoute : « Dans les années 1960, le pull pour femmes était ringard. On l’assimilait à un vêtement d’homme, aux gros chandails de Jean Marais, aux sports d’hiver. Sonia Rykiel le réinvente, elle en fait une tenue féminine, collant comme une seconde peau. »
La carrière de Sonia est lancée et la maille deviendra l’essence même du style Sonia Rykiel. Maman de deux enfants, Nathalie et Jean-Philippe, elle lance sa griffe en 1968 et elle n’aura alors de cesse de bousculer les codes. Initiatrice du concept de la «démode», l’art d’être soi-même, elle apprend aux femmes à se libérer des codes en leur proposant d’adapter la mode à leur corps et à leur personnalité. Sonia Rykiel a créé une mode hors des modes mais aussi une attitude, une façon de vivre et d’être, et a offert aux femmes une liberté de mouvement comme l’avait fait Chanel en libérant la femme du corset. Des pulls tels une seconde peau, confortables, au style chic et sexy, désinvolte, féminins et élégants à la fois.
Le noir, les rayures, le velours, les coutures à l’envers, des nombreuses tendances immédiatement identifiables signées Sonia Rykiel. Dentelles et fourrures viennent illustrer le message avant-gardiste de cette femme inclassable, effrontée quoique secrète, qui osa et fut la première à se permettre, et permettre à ses congénères, de se choisir une identité féminine assumée, sensuelle et préservée. Elle innove avec sa vision de la mode “dé-modée”. Il y a le pull à rayures, iconique à l’instar de la Saharienne de Yves Saint Laurent ou la robe métallique de Paco Rabanne, mais également les silhouettes gaies, les défilés ont allure de fêtes où les mannequins ont le cœur à la joie, dansent, rien à voir avec l’atmosphère austère propre aux podiums des Fashion Week. Il y a les cheveux de cette intrépide Sa coiffure, un carré ample et son immobile frange, reconnaissables entre milles avec leur couleur flamboyante. Combien de femmes rousses à s’y méprendre a-t-on pu croiser dans les rues de St Germain des Près à cette époque !
“Je suis une imposture de la mode”.
Préparation du défilé des 40 ans de création de Sonia Rykiel – 2008
Celle qui, jeune fille, n’avait pour seule ambition que d’avoir dix enfants a finalement révolutionné lamode. Sonia Rykiel a réussi à s’imposer dans un milieu qu’elle ne connaissait pas. Je n’ai jamais étudié la couture, je ne sais pas tricoter et malgré ça, je suis devenue la reine du tricot, si ça ce n’est pas une imposture », disait-elle. L’allure Rykiel : une femme chic et non bourgeoise, lovée dans la laine ou le cachemire, fumant une cigarette en terrasse d’un café à Saint-Germain des Près.
Sonia Rykiel écrit aussi des romans, produit des pièces de théâtre, réalise des costumes pour des comédies musicales. Elle est grandement récompensée et reçoit le prix de l’Ordre National du mérite, est déclarée officier des Arts et des Lettres et est décorée de la Légion dhonneur. Mondialement connue et reconnue, Sonia Rykiel a su imposer ses rayures et ses lettres en strass pour en faire un style reconnaissable entre tous. Sonia Rykiel disparaît en Août 2016 . Elle s’est imposée avec une spontanéité et une intemporalité remarquables, au-delà de toute mode. L’artiste n’est plus là mais le style perdure…
Sources : Livre Sonia Rykiel Exhibition aux Editions les Arts Décoratifs / Articles Le monde