(Crédit photo Laine Magazine)

Le tricot ne laisse pas indifférent.  Plus d’un français sur deux a déjà tricoté. Ce chiffre peut surprendre au regard des à priori que cette pratique véhicule encore aujourd’hui.

 

Le tricot c’est démodé

Tous les tricoteurs assumant leur passion haut et fort ont eu nécessairement un jour droit à des sourires discrets ( ou pas ), des regards malicieux ou des commentaires empreints de sarcasme. Faire du piano, monter à cheval, s’adonner au char à voile ou même coudre attise la curiosité et force l’admiration. Mais tricoter ? Quelle idée ?
Immédiatement l’imagination débordante se tourne vers le cliché d’un club de mamies réunies autour d’une tasse de thé, papotant et…tricotant ! ou de la vieille fille , de préférence désespérée laide et coincée, maniant les aiguilles dans un dernier espoir, un chat ronronnant à ses pieds, ou encore l’image d’Epinal du  gilet de Thérèse offert à Pierre dans le « Père Noël est une ordure » !
Depuis une dizaine d’années, les mentalités évoluent devant le vif intérêt pour l’art des aiguilles en France mais également à l’international. Mais travailler sur un projet lié à la maille et au tricot relève de la nage à contre-courant et prouve une fois de plus que le chemin est encore long !

L’idée n’est pas ici d’énumérer les progrès de la “déringardisation” du tricot mais bel et bien de comprendre quelle peut être l’origine de ces préjugés ? Quelles sont les époques marquantes de l’histoire du tricot ayant pu laisser cette empreinte ?

 Tricot et aiguilles : un peu d’histoire

Peu de textes relatent de l’origine du tricot. Si l’utilisation précoce de l’aiguille à coudre ne laisse aucun doute , il n’en est pas de même pour l’aiguille à tricoter. Les plus anciens vestiges de ce que l’on pourrait appeler tricot , des fragments de chaussettes coptes, auraient été retrouvées en Egypte entre le XI et XIIIe siècle, même si les historiens estiment que la technique pourrait être beaucoup plus ancienne.

Une occupation de religieuses

C’est au X ème siècle que le tricot se serait répandu dans toute l’Europe, phénomène accéléré par des prescriptions liturgiques dès 785. Les évêques et prêtres doivent porter des gants ajustés non cousus lors de la consécration du pain et du vin. Le tricot devient alors une occupation principalement exercée par les religieuses et quelques artisans qui tricotent ces gants épiscopaux (ou chirothèques) en soie naturelle ou blanche puis colorés, souvent en rouge.  Les plus anciens gants parvenus en France datent du XIIIe siècle et sont conservés à la basilique Saint Sernin à Toulouse. Ils témoignent du haut niveau technique de tricotage de l’époque.

On trouve également à l’époque de nombreuses bourses ou petits sacs tricotés en rond et en jacquard destinés à accueillir les reliques des saints. Des bas et jambières tricotés entre le VII et IX siècle ont également été retrouvés en Suisse ainsi que des housses de coussins provenant de tombes royales espagnoles au XIII et XIIe siècle.

Le tricot sous l’ancien régime : Une occupation convenable

C’est probablement depuis l’ancien régime que le tricot véhicule ces clichés tenaces.  Au XVIIIe siècle , le tricot à la main est à la mode et devient l’occupation convenable des femmes de l’aristocratie.  Marie-Antoinette tricote. Lors de sa captivité à la prison du Temple, la souveraine aurait obtenu aux Tuileries, par le biais de la fille de son geôlier Tison, une paire d’aiguilles à tricoter en ivoire . Accompagnée de pièces manuscrites faisant état qu’elles auraient bien appartenu à la reine Marie- Antoinette, cette paire fut vendue aux enchères le 21 Mai 2003 au prix de 26000€.


Au XVIIIe siècle, la tricoteuse est une figure exemplaire de vertu féminine et le raffinement des accessoires de tricot, le plus souvent en soie, reflète le statut social de la dame de qualité qui les possède ! Le tricot est une activité traditionnellement dévolue aux femmes qu’elles exercent en privé au sein du foyer et les vertus de cet art dépassent celles des autres travaux d’aiguilles. Il évite de gaspiller le temps perdu en conversation ou en lecture frivole. A ce titre, le tricot sera largement enseigné dans les institutions aussi bien religieuses que laïques pendant tout le XIXe siècle. Préoccupées par l’éducation des filles, on leur inculque le goût des travaux d’aiguilles qui conviennent à leur « fragilité physique ». Dans les pensionnats et les couvents,  une jeune fille « bien née » devra se constituer un trousseau et occuper son temps libre à cette activité honorable, la détournant ainsi de mauvaises lectures, le Bovarysme avant l’heure. Pour les autres, l’enseignement des techniques du tricot leur permettra de gagner honnêtement leur vie , le marché de la mode, secteur économique en plein essor, étant en demande constante de petites mains habiles.

Par sa vocation d’exemplarité pour les jeunes filles, la tricoteuse représente en tous points les enjeux et la convention de la vie quotidienne des femmes et jeunes filles du XIXe. Riches ou pauvres, jeunes ou âgées, le tricot est le révélateur de femmes douces et attentives à leur foyer, de maîtresses de maison efficaces et discrètes, de chrétiennes humbles et travailleuses. Peindre une tricoteuse, c’est peindre la féminité idéale. Mères attentives, fillettes obéissantes , grands-mères respectées

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Les tricoteuses de la révolution

Les premières années de la révolution française ont vu naître un courant en faveur de l’amélioration de la condition féminine. Alors que le tricot renvoie à la douceur de la sphère privée, la tricoteuse publique apparaît comme une femme ayant perdu toutes ses qualités. A l’époque, une femme s’adonnant au tricot en public est contre-nature.  Les “tricoteuses” surnommées ainsi en référence à l’occupation principale de leur temps libre, sortent dans la rue, s’affichent sur la scène publique et assistent aux délibérations de la convention. Bien que le bilan de la révolution française fût mitigé pour les femmes, ces tricoteuses furent l’un des maillons les plus actifs du mouvement révolutionnaire à Paris et en Province. 

Le tricot : le grand retour


« Un ministère de la Condition féminine ? Et pourquoi pas un sous-secrétariat d’Etat au tricot ? “
Charles de Gaulle

« Le tricot permet à une femme de penser à autre chose pendant que son mari parle.»
Sacha Guitry

Tombé en désuétude pendant plusieurs années, on assiste depuis une décennie à un retour en force et à une modernisation de l’art des aiguilles. La tricot-mania devient un phénomène de mode et elle séduit toutes les tranches d’âges. La tendance « Do It Yourself » offre à chacun la satisfaction de créer une pièce unique. Des café-tricot et des ateliers fleurissent et permettent rencontres et échanges. Le tricot urbain ou yarn bombing fait fureur. Les maisons de luxe s’intéressent au fait main et face à l’intérêt accru, proposent elles-aussi des collections de mailles tricotées.

Les hommes également se sont emparés d’aiguilles à tricoter et Stephen West, le designer néerlandais, est devenu une véritable star de la création aux 166 000 abonnés sur Instagram.  Nos nombreuses créatrices françaises et étrangères nous prouvent au quotidien sur les réseaux sociaux que tricot rime avec modernité et la ravissante Andrea Mowry atteste que l’on peut être jolie et tricoteuse à la fois.

Même si les hashtags #jetricoteetalors, #jetricoteetjevousemm…, #jetricoteetjenesuispasvieille #jetricoteetjassume sont encore régulièrement utilisés , on avance doucement vers une évolution durable des mentalités. Les laines sont douces et naturelles, les teintures respectueuses de l’environnement, les superbes magazines de tricot comme Laine Magazine ou Pom Pom ainsi que les modèles fashion et féminins des créateurs de fils finissent par convaincre les plus réticents et font grandir la communauté assidue de « knitters » !

Robe de Jean-Paul Gaultier pour les 40 ans de création de la maison Sonia Rykiel.

 

 

Sources : Un certain regard- Histoire du tricot
                  Les 8 petites mains
                  Wikipedia

 Stephen West Instagram
 Andrea Mowry Instagram

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